{fr}
Je te vois...
Bien centrés dans un couloir sombre, nous faisons preuve d'unité protocolaire – je suis l'artiste et tu es le public dans une cuillerée spatio-temporelle.
Jeu de rôles: ton arrivée permet à ma présence d'avoir un contenu exécutable. Nous adoptons l'attitude correspondante.
Comme une toile d'araignée, mon espace à potentiel performatif s'étale dans un petit couloir sombre et calme. Piège tendu. Debout. J'ai planté des signes, des repères langaguiers qui doivent guider notre rencontre – un socle et un ordinateur pour moi, la même chose pour toi. Entre ces deux pôles, un espace virtuel. Modem, satellite, skype. Rien de plus simple.
[...]
Skype est démarré. Il puise dans un réseau indépendant de haute-vitesse satellite pour maintenir un pont vers son analogue de réseau local, opérant sur un deuxième ordinateur, placé directement derrière mon dos. Devant moi, le vide fermé du couloir. Derrière moi, le vide ouvert des rencontres potentielles. Mon regard plonge dans l'écran de mon ordi, qui le capte, le tortille, le fait traverser la stratosphère, et le crache directement derrière mon dos, sur la caméra web du deuxième ordinateur, dans l'attente d'apercevoir un intrus. Ce n'est plus le couloir que j'observe, c'est simplement un espace quelconque. Une simulation, une chat room, une connexion probable. Tout mon corps debout n'est là que pour supporter les bouts de mes doigts, prêts à réagir sous la surprise d'une apparition visuelle virtuelle. Sur mes oreilles, des écouteurs. Tous mes sens succombent à la virtualité amplifiée au détriment de la physicalité protocolaire. Je n'ai plus besoin de me produire en tant qu'artiste, de m'inscrire dans l'historique des événements sériels d'art performatif, puisque je ne suis plus là. Ma présence équivaut un noeud réseautique. Ping. Pong. Je te vois.
Durant deux heures, précisément entre 19h et 21h, mes genoux se sont bloqués pour dresser la ligne droite de l'échappement de mon étant performatif vers un espace réseautique probable. J'ai vu d'autres étants arriver et partir, même rester parfois. À 21h, le réseau temporaire fût clos. Je suis partie sans jamais savoir ce qui s'est passé dans ce couloir pendant que j'étais absente.